Interview des co-directeurs de Resanté-vous Guy LE CHARPENTiER et Nicolas ROUMAGNE.
Guy Le Charpentier est administrateur de la CRESS Nouvelle-Aquitaine
Avec un personnel « faisant fonction d’aide-soignant·e » et des recrutements réalisés par défaut, faute de candidats, il semble particulièrement complexe de dispenser un service de qualité
– Quel est le problème pointé par le scandale qui secoue le groupe privé Orpéa ?
Victor Castanet vient de publier « les fossoyeurs », livre qui dénonce les conditions de vie dégradées des personnes âgées et du personnel des Ehpad au sein d’établissements Orpéa. En effet, cet ouvrage lève le voile sur les dérives de l’optimisation d’un modèle lucratif jusque dans ses limites scandaleuses, l’usage de l’argent public au profit des actionnaires. Certaines problématiques pointées sont symptomatiques de la dérive d’un modèle de structure à bout de souffle. Comment pouvons-nous être bien traitant avec un taux d’encadrement trop faible [1]? Au-delà de la quantité de personnel, la compétence individuelle et collective est la clé de la qualité du service dispensé. Avec un personnel « faisant fonction d’aide-soignant.e » et des recrutements réalisés par défaut, faute de candidats, il semble particulièrement complexe de dispenser un service de qualité : comprenons par qualité, un service qui respecte les choix et les envies des personnes, qui dispense des soins adaptés au besoin tout en proposant des activités d’épanouissement quel que soit l’état de santé de la personne. Comment accompagner avec humanité des personnes en situation de santé complexe avec un personnel insuffisamment outillé et formé ? Ne faisons pas d’amalgame, et d’ailleurs le livre « Les fossoyeurs » ne jette aucunement la pierre aux professionnels qui tentent chaque jour de réaliser un travail de qualité avec les moyens qui leur sont attribués. Cet ouvrage très documenté, a l’effet d’un pavé dans la mare ou plutôt dans un océan tumultueux où plusieurs tempêtes médiatiques se sont enchaînées ces dernières années.
– Quelles différences (s’il y en a) dans les ehpad ESS (mutualiste ou autre) ?
Les Ehpad reposent sur trois sources de financement. L’État avec les agences régionales de santé paie l’essentiel du salaire des soignants. Les départements contribuent au financement des fournitures. Les résidents et/ou leurs familles règlent l’hébergement et les repas. C’est sur ce 3ème volet que les EHPAD de l’ESS (associations, fondations et mutuelles) cherchent à apporter l’accessibilité financière des services au plus grand nombre. Ils permettent aussi d’envisager des solutions diversifiées dans les territoires ruraux. Mais malheureusement leur taux d’encadrement est également insuffisant bien que très légèrement supérieur à celui des EHPAD privés à but lucratifs (59 pour les associations contre 58 pour les établissements lucratifs selon le panorama des EHPAD 2021 d’Uni-Santé).
Il serait une erreur de faire un raccourci entre le statut juridique de l’EHPAD et la qualité de son accompagnement. Sur les 7 367 établissements présents sur le territoire métropolitain en 2020, 45% sont publics, 31% associatifs et 24% commerciaux. D’un autre côté un rapport publié en 2021 sur les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en EHPAD relate que sur les 900 réclamations 45% des saisines concernent les EHPAD public, 30% les EHPAD associatifs et 25% les EHPAD privés lucratifs. Ces chiffres démontrent que le statut juridique ne suffit pas. Malheureusement, les problématiques de personnel, d’attractivité, de recrutement sont identiques selon les typologies d’établissement.
Je pense que les EHPAD de l’ESS ont un beau défi d’innovation sociale devant eux.
La principale différence réside dans l’utilisation des bénéfices de ces structures qui réinvestissent pour le projet et non pour le financement d’actionnaires. Mais nous constatons que des difficultés de gestion d’un côté et une logique financière de l’autre peuvent conduire in fine à un résultat équivalent à savoir une qualité d’accompagnement dégradée. Je pense que les EHPAD de l’ESS ont un beau défi d’innovation sociale devant eux.
– Quelles pistes d’évolutions ?
Les questions de l’accompagnement et des lieux de vie pour les personnes âgées montrent de réels besoins sociaux mal satisfaits, aujourd’hui. Il y a un enjeu fort à innover socialement pour qu’il y ait plus de vie dans ces lieux de vie. Les projets pilote d’EHPAD pôle ressources de proximité sont de bons exemples d’évolution. Il ne faut pas limiter les EHPAD à une fonction purement médicale. Ces établissements doivent également jouer un rôle social et solidaire. D’autre part entre le soutien à domicile et l’entrée en maison de retraite, il existe aussi des alternatives comme la colocation intergénérationnelle, l’accueil familial, les résidences seniors, l’habitat inclusif, le béguinage, … Ces initiatives se multiplient et tant mieux, car démographiquement, nous sommes nombreux avec des envies de partager très différentes.
Il existe aussi des alternatives comme la colocation intergénérationnelle, l’accueil familial, les résidences seniors, l’habitat inclusif, le béguinage, …
Le paradigme doit évoluer et pour cela, il faut commencer par agir contre l’âgisme de notre société pour penser des lieux de vie souhaitables ne négligeant pas l’estime de la personne sur l’autel de la sécurité.
Ce livre fait entrer le sujet du grand âge dans la campagne présidentielle. Avant ses révélations, aucun candidat ne parlait des besoins des 13 millions de Français de plus de 65 ans. C’était pourtant l’une des promesses d’Emmanuel Macron en 2017 : faire une grande loi autour du grand âge. Elle a été malheureusement avortée. Après ce scandale ORPEA, Anne Hidalgo dit vouloir miser sur la prévention de la dépendance et propose de consacrer 3 milliards au bien vieillir alors que Yannick Jadot souhaite interdire les EHPAD privés à but lucratif. Tous les candidats vont certainement se saisir de ce sujet brûlant en espérant que ce sujet de campagne transformera l’essai et devienne un axe fort du prochain mandat présidentiel.
– Resanté-vous intervient en Ehpad, qu’y faites-vous ?
ReSanté-Vous est une ESUS, entreprise commerciale de l’ESS et d’utilité sociale, qui agit depuis 15 ans pour que chaque personne âgée puisse se sentir autonome, s’épanouir et s’engager dans des activités porteuses de sens, quel que soit son état de santé.
Notre méthodologie se base sur la synergie de 3 principes fondamentaux :
- L’estime et l’épanouissement comme facteurs clé de santé,
- La transdisciplinarité pour répondre à la complexité,
- Une approche systémique par le conseil à l’organisation, la formation et l’activité de prévention et de réadaptation. Ce triptyque s’appuie sur une dynamique d’innovation sociale impulsée par une équipe de Recherche & Développement.
Présente dans 8 départements, l’équipe de ReSanté-Vous se compose de :
- 1 co-direction,
- 3 consultants-chercheurs en sciences humaines et sociales,
- 3 formateurs salariés et 10 formateurs libéraux
- 35 rééducateurs et psychologues,
- 1 conseil éthique et scientifique présidé par Michel BILLÉ, sociologue
[1] 58 équivalents temps plein (ETP) pour 100 résidents dans les Ehpad privés, contre 59 dans l’associatif et 65 dans le public. (source Uni Santé : https://www.uni-sante.fr/actualites/panorama-ehpad-2021)
Pour aller plus loin :
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- La CRESS Île-de-France a publié une fiche sur le bien vieillir dans son plaidoyer sur les régionales (p3031) : https://www.cressidf.org/wp-content/uploads/2021/06/Guide-pour-une-ESS-au-coeur-des-politiques-regionales.pdf
- L’ORESS, observatoire ESS de la CRESS Occitanie a produit une étude appelée « L’ESS au service du bien-vieillir en Occitanie » en 2019. Il y a un un chapitre sur l’hébergement médico-social (p57-61) : http://www.cressoccitanie.org/wp-content/uploads/Focus-Silver-Eco-Book-web.pdf